La jeune Ema Cardeano est élevée par son père dans la région du Douro, au Portugal. Sa beauté est telle que lorsqu’elle regarde la route depuis le haut de son balcon, elle provoque des accidents chez des automobilistes distraits. Alerté sur la situation, son père lui demande de ne plus quitter la véranda, et d’accepter ainsi qu’une vitre la sépare du monde extérieur. Un jour, elle épouse un vieux médecin de deux fois son âge qu’elle ne parviendra jamais réellement à aimer. Pas plus qu’elle ne parviendra à aimer le jeune aristocrate qu’elle prend pour amant peu de temps après.
Val Abraham est une adaptation libre de Madame Bovary . Mais alors que l’imaginaire de l’héroïne de Flaubert était repu de romans à l’eau de rose, celui d’Ema Cardeano est plutôt nourri… de Madame Bovary ! (Elle lit le livre de l’auteur français à plusieurs reprises et en contemple les points communs avec sa propre expérience.) Au bovarysme provincial qui est le sien vient donc s’ajouter une conscience aiguë de celui-ci. Loin d’être émancipatrice, cette clairvoyance semble rajouter à sa peine et irrigue le film d’une profonde mélancolie – la mélancolie de celle qui observe, comme à distance, sa vie se dérouler selon une partition connue. En enfermant son héroïne dans des plans fixes d’une somptuosité rarement égalée au cinéma et en confiant à une voix-off le soin de narrer l’histoire, De Oliveira accroît ce sentiment d’absence que procure son personnage. Tour à tour envoûtante, bouleversante et glaçante, cette splendeur de la mise en scène semble rejoindre Ema dans son destin tragique, celui d’un être condamné par une beauté qui attire les foules autant qu’elle l’éloigne du monde.