Peu de cinéastes auront exploré des mondes aussi divers que Chantal Akerman : la comédie romantique hollywoodienne avec Un Divan à New York , les plans-séquences mutiques de D’Est , le trip transcendantal de La Folie Almayer , l’épure antonionienne relevé d’humour dans Les Rendez–vous d’Anna , la comédie musicale avec Golden Eighties et évidemment le « slow cinema » de Jeanne Dielman . On trouvera donc sans soucis chaussure à son pied dans cette œuvre protéiforme.
De toute cette diversité stylistique, Toute une nuit parvient cependant à incarner une sorte de précipité : fondamentalement expérimental dans son ensemble, classiquement narratif dans ses parties. Le film se compose d’une série de vignettes autour du thème du mélodrame, le tout dans la moiteur estivale d’une nuit bruxelloise. Quasiment dépourvues de paroles, ces variations thématiques sont principalement occupées à mettre en scène des corps . Des corps qui se quittent et qui se retrouvent, des corps qui accourent et qui détalent, qui se lèvent, qui s’affalent, qui s’épient et qui s'enlacent. Toute une nuit est littéralement un film sur le « transport » amoureux, entendu comme une mise en mouvement de corps transis par l’émotion. L’envers de ce film nocturne et virevoltant est évidemment le quotidien laborieux et ordonné de tous ces personnages anonymes : quand le jour se lève et que les lumières se rallument sur ce petit théâtre sentimental, restent les souvenirs de tous ces moments volés à la nuit comme autant d’affronts à la journée de travail qui commence.