Film

Fait de contre-pieds et d’emboîtements de récits, Tabou est un film qui surprend. À tel point que ce serait trahir sa fougue secrète que de révéler le moindre détail sur sa construction narrative. Disons simplement que le récit est écartelé géographiquement (entre Lisbonne et une colonie portugaise en Afrique), temporellement (la partie lisboète est contemporaine, celle africaine se déroule à l’aube des décolonisations) et thématiquement (la fin de vie, la solitude, l’histoire d’amour interdite…). À cet éparpillement narratif vient s’adjoindre une malléabilité formelle permettant à la mise en scène de Gomes d’embrasser avec un plaisir toujours renouvelé ces éléments disparates. Une telle capacité à gagner sur tous les tableaux pourrait presque agacer si ce n’était pour le romantisme débordant qui constitue le vrai cœur battant du film. Romantisme des personnages qui fait basculer le récit dans le mélodrame, romantisme du réalisateur qui s’adonne au plaisir gourmand de renouer avec des formes artisanales de cinéma : le film est traversé par une forme de candeur qui emporte avec elle le dernier soupçon de posture frimeuse et satisfaite. Coup de foudre.