Après dix ans d’exil européen, Robert Kramer rentre dans son pays au moment précis où il aurait été le plus logique qu’il s’en éloigne : en 1986 et alors que le reaganisme s’est imposé comme religion politique nationale. Dans un tel contexte, plus question de ne filmer que les militants d’extrême-gauche qui étaient au centre de ses premiers films (Ice, Milestones). Il s’agit ici pour Kramer de sonder non plus ses États-Unis mais bien les États-Unis tels qu’il les rencontre en arpentant la fameuse Route One qui longe la côte Est du Nord du Maine à la pointe de la Floride. On y croisera donc des travailleurs sociaux, des réfugiés, des retraités, des ouvriers tout aussi bien que des fondamentalistes religieux, des militaires, des industriels ou des hommes politiques. Cinéaste du corps social par excellence, Kramer met au point une forme cinématographique qui parvient à saisir la société américaine dans tout ce qu’elle a de contradictoire et de complexe. Cela se traduit par des prises radicalement subjectives (scrutant les gestes précis et les détails significatifs plutôt que les plans d’ensemble) et un montage absolument virtuose (qui entremêle sans cesse des bouts de scènes différentes pour en révéler les secrètes correspondances). Révolutionnaire mélancolique devenu barde, Robert Kramer aura cherché avec Route One / USA à tisser ensemble les lambeaux d’un pays décousu.