Voici peut-être le rare film dont la production fut plus mouvementée que celle de toute l’œuvre de Werner Herzog réunie. Pendant cinq ans, Noel Marshall et Tippi Hedren se sont filmés en compagnie de dizaines de lions, tigres, et autres fauves sauvages dans leur maison californienne. On se lasserait bien vite des anecdotes de tournage utilisées sans vergogne à des fins promotionnelles (au moins 70 blessés sur une équipe de tournage de 140 !), si elles n’étaient pas intrinsèquement liées à la réussite même du film. Ce sont, il faut bien se l’avouer, les félins qui font le film. La jubilation que nous procure leur présence ne résulte pas de leur exotisme mais bien du fait qu’il s’agit là de bêtes radicalement incontrôlables, placées au centre d’un film qui cherche tant bien que mal à raconter son histoire. Cette tension, entre un scénario de fiction et des personnages principaux qui ne peuvent que résister à toute tentative de mise en scène, rend le film drôle et passionnant. Drôle tant les tentatives de « jeu » des acteurs humains sont sans cesse trahies par l’ultra-réalisme de leurs réactions face à des animaux menaçants. Et passionnant pour ce que cela révèle de la confrontation entre des éléments fictifs et documentaires, confrontation qui est centrale à la modernité cinématographique telle qu’elle fut imaginée, notamment, en Italie (néoréalisme) et en France (Nouvelle vague). Le cinéma américain s’est d’abord montré plus récalcitrant à ce genre d’expérimentations, lui préférant un sensationnalisme Made in Hollywood ; on pourra alors sourire du fait que c’est finalement en poussant la logique du sensationnalisme jusqu’à l'extrême (filmer des animaux de la savane comme s’ils étaient animaux de compagnies) que des Californiens ont découvert les bienfaits d’un cinéma qui échappe un temps soit peu à celles et ceux qui le font.