Dans une petite bourgade hongroise, à une époque peu déterminée, un candide livreur de journaux (Janos) se fait le témoin de l’arrivée en ville d’une sorte de cirque ambulant. Terne spectacle, le cirque est constitué d’une immense baleine laborieusement remorquée et d’un très cryptique « Prince » dont les discours galvanisent une ribambelle d’hommes attroupés sur la place centrale. Pour ceux qui considèrent qu’il n’y a rien de plus barbant au cinéma que le symbolisme, un tel récit aurait de quoi faire frémir. Mais assez curieusement, plus l’histoire se charge de niveaux de lectures, plus le film se déleste de toute lourdeur discursive. Les scènes d’observation de la baleine, animal biblique s’il en est, visent avant tout à restituer la simplicité du regard qu’y pose Janos, lui qui n’a jamais vu pareille bête. Si le plan séquence est l’unité fondamentale du cinéma de Béla Tarr (ce film en est constitué de 39), ce n’est pas pour l’épate mais plutôt par une espèce de peur d’interrompre l’acte de filmer. Il ne s’agit pas de minimiser les prétentions proprement métaphysiques du réalisateur mais simplement de noter qu’il renoue grâce à elles à une forme primitive de faire du cinéma : s’émerveiller devant la beauté des choses et jouir de notre capacité à en enregistrer de fugaces visions.