Importante référence du cinéma décolonial, considéré comme le premier long métrage d'Afrique subsaharienne, La Noire de… décrit un moment de bascule historique qui cache un effrayant statu quo. Réalisé peu de temps après l’indépendance sénégalaise, le film est une démonstration limpide de comment l’exploitation économique s’apprête à prolonger subrepticement l’exploitation coloniale.
Diouana, une jeune sénégalaise, est embauchée comme nourrice par un couple de Français venus s’expatrier à Dakar. Lorsque ces derniers rentrent vivre à Antibes, ils lui proposent d’y venir travailler, estimant au passage qu’une telle proposition devrait susciter en elle une reconnaissance profonde. Arrivée en France, Diouana subit le racisme ordinaire et quotidien de ses employeurs et de leurs amis, entre paternalisme bonhomme, exotisation badine et objectification virulente. À cette aliénation constante répond par intervalle régulier la voix off de Diouana qui analyse avec une extrême lucidité ce qui est en train de lui arriver : secrète vengeance de celle dont l’illettrisme accroît la situation de dépendance envers ses patrons. Ainsi est-il suggéré que si l’exploitation des corps n’est pas près de se terminer, reste aux damnés de cette terre à se réapproprier au moins le récit qui en est fait. Militant toute sa vie pour un cinéma tiers-mondiste affranchi de la tutelle française, Ousmane Sembène aura cherché, peut-être plus que tout autre cinéaste, à mettre en pratique cette précieuse maxime de lutte.