Film

Sorte de manifeste anarchique du cinéma, Jeannette est un des films les plus farouchement libres du septième art. On y suit la jeunesse de Jeanne d’Arc de son quotidien d’enfant à sa guerrière résolution, le tout situé dans de banales dunes du Nord de la France. La pucelle d'Orléans est notamment interprétée par une gamine de dix ans qui répand sa fervente dévotion comme si elle récitait son Am Stram Gram. Les autres acteurs ne sont pas professionnels et semblent à vrai dire assez peu préoccupés par les règles de vraisemblance qui gouvernent habituellement l’exercice. Pour compliquer encore un peu l’affaire, il leur est demandé de réciter des vers de Charles Péguy dans le texte sur fond de hard rock parce que… pourquoi pas ? L’effet de sidération qui en résulte est tellement puissant qu’il suffirait à nous porter à travers le film. Dans toutes ces dissonances, Bruno Dumont fait jaillir le sacré qui sommeille dans les choses les plus banales. L’amateurisme un peu grossier (et parfois grossi) de ses acteurs devient une sorte de poésie surnaturelle et décalée du réel. La reconduction ad nauseam du même décor dans toutes les scènes en fait un théâtre intime de confrontation avec Dieu. L’un de ses plus fervents pratiquants, Dumont interroge le cinéma : que pouvons-nous encore en espérer ?