Les scènes de bouffe semblent être à Kechiche ce que les rêves sont à Luis Buñuel (ou les plans de pieds à Quentin Tarantino) : un passage quasi-obligé et tout à fait savoureux de son cinéma. Et si les repas prennent une telle place dans ses films, c’est qu’ils regroupent des éléments essentiels à son ambition de naturalisme. Y sont reconduites aussi bien des habitudes quotidiennes que des traditions familiales. Du repas chaotique de La Graine et le mulet au dîner sans un mot devant « Questions pour un champion » de La Vie d'Adèle, le cinéaste franco-tunisien parvient toujours à insuffler à l'acte de manger une signification toute particulière.
C’est donc assez logiquement que son cinéma s’est pleinement épanoui avec cette histoire d’un vieil ouvrier naval au chômage, Slimane, qui décide d’ouvrir un restaurant de couscous à Sète. Ce personnage est lui aussi caractéristique de l’art de Kechiche : père à la fois soucieux et absent, assombri par une vie d’humiliations et de labeur, il est aux antipodes du portrait édifiant de l’immigré modèle que le scénario pourrait laisser présager. Avec lui, le film travaille à cet équilibre si subtil qui consiste à honorer la promesse d’enchantement de la vie quotidienne d’un cinéma résolument populaire sans jamais masquer la dureté des conditions de vie qu’il décrit.