Parmi les différentes formes de création artistique, la production d’un film a ceci de particulier qu’elle requiert le concours d’un nombre tout à fait considérable de gens. La question que pose inévitablement
Gerry est alors : comment, parbleu, ce film a-t-il pu se faire ?! Si l’histoire du cinéma regorge de délires de réalisateurs, enhardis par une politique des auteurs qui fit d’eux les maîtres à bord du drôle de navire esthético-industriel qu’est la production d’un film, peu sans doute peuvent se mesurer à
Gerry. Au début des années 2000, fort des succès populaires de
Good Will Hunting et
Finding Forrester, Gus Van Sant parvint à détourner (je ne vois pas d’autre terme) 3.5 millions de dollars pour donner forme à ce projet insensé : un film qui ne montre rien d’autre que des amis, répondant tous deux au nom de « Gerry », se perdant dans la Vallée de la mort. L’irrésistible et hypnotisant entêtement avec lequel le film assume jusqu’au bout son programme, quitte à risquer l’ennui, force l’admiration (“The longer the movie ran, the less I liked it and the more I admired it”
en dira le critique Roger Ebert). Mais
Gerry est surtout une réussite parce qu’il est drôle. Et pas seulement sur le mode qu’est-ce-que-c’est-que-cet-absurde-bordel-que-je-regarde. Les dialogues, bien que rares, témoignent d’une sorte de génie de l’extrême banalité et le jeu des acteurs porte la trace d’une cocasse mise en scène de corps désorientés. Finalement, que l’existence-même du film soit un pied-de-nez surréaliste à la loi du marché n’est que la cerise sur le gâteau.