A peine le dernier écrou lui était-il vissé que le Cinématographe des frères Lumière se voyait expédié sur tous les continents avec un objectif : documenter un monde en pleine mutation. Pasolini ne vise pas autre chose en choisissant de mener une « enquête sur la sexualité » à l’aube des années 1960, réactivant le vieux fantasme artistique de capturer la fin d’une époque. Mais en 1964, on ne filme plus comme en 1895 : le regard-caméra, indissociable de celui du metteur en scène, a perdu de ses prétentions d’objectivité. Pasolini se mettra donc en scène dans la position de celui qui provoque la parole de ses concitoyens. Cheveux gominés et chemise blanche rentrée dans le pantalon, on le retrouvera en train d’alpaguer de prudes siciliennes pour les interroger sur les plaisirs qu’on dit charnels. Du Nord au Sud, des campagnes à la ville, sa caméra est un événement pour toute une foule qui cherche voix au chapitre, la promesse d’une agora nouvelle. Derrière cette portée politique se cache surtout un merveilleux manifeste esthétique : loin de l’obsession du contrôle et du professionnalisme, Pasolini situe la source de son cinéma dans la libération des forces vives de la nation, dans la spontanéité de paroles qui s’affirment et se disputent. Les plus grands metteurs en scène ne peuvent parfois que s’agenouiller devant l’inépuisable génie de l’imprévu.