Rien ne destinait Chantal Akerman, qui s’est fait connaître mondialement avec Jeanne Dielman en 1975, à réaliser une comédie romantique dans la plus pure tradition hollywoodienne. C’est pourtant ce qu’elle fit en 1996 avec Un Divan à New York dans un épatant exercice de réinvention de sa forme. Assez opportunément, l’idée de changer de rôle est au cœur de ce film merveilleux : un psychothérapeute new yorkais (Henry, William Hurt), fatigué par les complaintes de ses patients, échange le temps de vacances son appartement du très luxueux Upper East Side avec une jeune parisienne qui habite Belleville (Béatrice, Juliette Binoche), quartier alors très populaire. Et alors que Henry ne tardera pas à rencontrer les nombreux amants de Béatrice qui viennent frapper à la porte, Béatrice s’improvisera psy auprès des patients désespérés de Henry qui se pointent pour leur rendez-vous hebdomadaire. Ce jeu de permutations constantes, et son lot d’hilarants quiproquos, vient chambouler les contours un brin cliché des personnages (lui, le bourgeois coincé limite dépressif ; elle, la jeune parisienne pétillante, bohémienne et frivole). S’il est inutile de préciser que cet échange de quotidiens attirera les deux personnages l’un vers l’autre, il faut refuser d’y voir une quelconque naïveté sociale de la part de la réalisatrice. Plutôt, Akerman embrasse ici sans entraves le postulat classique de la comédie romantique qui, sans jamais négliger la description des conditions matérielles d’existence des personnages, veut que l’amour puisse transcender les distances aussi bien géographiques et sociologiques.