John Parker, héritier d’un exploitant de salles de cinéma du Minnesota, était riche. Si riche d’ailleurs qu’il put se payer la production d’un film que quasiment personne n’a vu. Inspiré d’un rêve que lui conta sa secrétaire, macabre à souhait, Dementia fut en effet censuré par le New York State Film Board avant de sortir dans une unique salle et dans une version altérée en 1955. Heureusement, la version originale a récemment fait l’objet d’une restauration. Film muet ou presque, lorgnant vers l’expressionnisme allemand des années 1920, Dementia nous revient d’un demi-siècle d’oubli comme le prototype qui s’ignorait de tout un pan du cinéma fantastique et onirique (on ne verra plus Lynch de la même manière !). Une femme se réveille d’un rêve, tombe sous le joug d’un riche micheton et le tue dans un geste préfiguré par un titre de journal déjà publié. Mais était-ce là encore un rêve puisque le voilà ressuscité ? Peu importe. Le télescopage à l’infini des couches d’irréel finit par s’annuler. Demeure simplement la terreur d’un personnage qui ne parvient pas à imprimer sa volonté sur la pellicule puisque chaque plan est susceptible d’être nié par celui qui suit. Intuition géniale, Parker avait tôt compris que le potentiel authentiquement horrifique du rêve ne provient pas tant de son contenu que de l’incapacité à en sortir.