Pour tout vous dire, La Baie des Anges de Jacques Demy est l’unique raison pour laquelle je me suis déjà laissé traîner dans un casino à 3h du matin pour parier répétitivement sur le numéro 17 à la roulette. C’est aussi le souvenir du film qui m’a consolé quand nous sommes repartis les mains vides. Car on ressent clairement les deux dans cette Baie des Anges : d’un côté le frisson du jeu, de l’autre l’horreur de la victoire arrogante, la certitude de l’engrenage addictif, le sobre lendemain comme unique horizon. D’angélique, le film n’en a vraiment que le nom. Il s’agit en fait d’un film assez sombre ; sombre sur les rapports amoureux, sombre sur les rapport familiaux et sombre sur la société moderne où le jeu se trouve être la matérialisation dévorante de l’ascenseur social, dont les usagers méprennent l’ascension elle-même pour la destination. Mais toutes ces arguties sont bien peu de choses à côté du premier plan du film : travelling arrière à toute allure sur la Promenade des Anglais qui fait que Jeanne Moreau, alors même qu'elle marche dans notre direction, s’éloigne de nous. On pourrait se risquer à dire qu’il s’agit d’une métaphore du bonheur procuré par le jeu, perdu de vue avant d’en connaître le nom. Heureusement, le cinéma est avant tout question d'émotion et là, c’est juste beau.