Entre 2005 et 2016, le cinéaste chinois Wang Bing est allé à la rencontre des derniers rescapés du camp de rééducation de Jiabiangou où furent envoyés, vers la fin des années 1950, plus de 3000 personnes accusés de « droitisme » (on estime à près d’un million le nombre de détenus à cette époque dans ce genre de camps à travers la Chine). Moins d’un sixième d’entre eux survécurent. Le film, monumental dans sa durée (il s’agit ici de la première de trois parties, pour un total de 8h25), est composé de longs entretiens lors desquels les survivants détaillent les effroyables conditions de vie dans le camp et l’impossibilité de faire vivre cette mémoire dans la Chine contemporaine, toujours gouvernée par le même parti unique qu’à l’époque. Les âmes mortes est doublement hanté par la mort : celle qui constituait le quotidien dans les camps de rééducation et celle, imminente, des témoins dont Wang Bing recueille la parole un demi-siècle plus tard. À la fin d’une séquence, et de manière particulièrement bouleversante, le cinéaste relie par le montage le récit d’un homme, rescapé miraculeusement du camp, et les célébrations traditionnelles lors de son enterrement en 2005, quelques semaines après l’entretien. En repliant ainsi le passé sur le présent, ce simple cut donne à voir l’incroyable précarité de la mémoire de toute une page de l’histoire nationale. Le reste du film s’efforcera alors d’en sauvegarder ce qui peut encore l’être.