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Monte-Cristo au cinéma

gael teicher
Que celles et ceux qui auraient été déçus par la nouvelle adaptation du Comte de Monte Cristo ne se désolent pas et que les autres se réjouissent : il y en a d’autres ! beaucoup d’autres !

Si la littérature a toujours constitué un précieux fond d’histoires pour le cinéma, l’œuvre d’Alexandre Dumas est une vraie mine d’or  : La Reine Margot, Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo ont fourni la matière d’un grand nombre de films – et d’ailleurs aucun livre n’a été plus adapté au cinéma que ce dernier. À la mort de l’auteur, Victor Hugo écrivait : « Le nom d'Alexandre Dumas est plus que français, il est européen ; il est plus qu'européen, il est universel. Son théâtre a été affiché dans le monde entier ; ses romans ont été traduits dans toutes les langues. »  Le cinéma a prolongé ses succès. L’étendue temporelle et spatiale des adaptations des aventures d’Edmond Dantès est sans commune mesure : France, Italie, États-Unis, Allemagne, Mexique, Argentine, Union soviétique, Égypte, Inde, Corée du Sud, Hong Kong… rares sont les pays qui n’ont pas leur version nationale. L’histoire du Comte de Monte-Cristo a tellement influencé l’imaginaire moderne de la vengeance qu’il est difficile de recenser précisément les adaptations du roman d’Alexandre Dumas. La sortie du film de Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière offre l’occasion de se replonger dans les aventures d’Edmond Dantès sur le grand écran.

L’histoire du cinéma et celle du Comte de Monte-Cristo sont plus intimement liées qu’on ne pourrait le croire ; l’une retrace l’autre et vice versa. Dès les débuts du cinématographe, et alors que les films ne durent qu’une quinzaine de minutes, les cinéastes se tournent vers ce monument de la littérature. En janvier 1908, sur la plage de Laguna Beach en Californie, Francis Boggs tourne les scènes d’extérieur d’un film produit par William Selig : un homme sort des flots. Cet homme incarnait Edmond Dantès et ce film s’appelait The Count of Monte Cristo. La douceur du climat californien et le succès du film inciteront William Selig à fonder une entreprise de production basée à Los Angeles. The Count of Monte Cristo, considéré comme l’un des tous premiers films produits en Californie, marquait le commencement de la grande histoire d’Hollywood.

Quatre ans plus tard, Selig produit un remake ; le rôle d’Edmond Dantès est tenu par le même acteur, Hobart Bosworth. Seulement, entre-temps, un certain Adolph Zukor a acquis les droits d’adaptation du roman et a produit une version de 69 minutes (durée exceptionnelle pour l’époque), réalisée par un autre pionnier du cinéma : Edwin S. Porter ; il fait retirer le film de Selig de la circulation. The Count of Monte Cristo rencontre un grand succès populaire et lance la société de ce jeune producteur ambitieux : la Famous Players Film Company, qui trois ans plus tard deviendra la Paramount. Zukor avait choisi cette histoire parce que son adaptation au théâtre rencontrait alors un succès considérable aux États-Unis. Pour incarner le rôle principal, il avait embauché James O’Neill, acteur d’origine irlandaise qui, par sa fidélité au roman de Dumas mérite qu’on s’y attarde. En 1883 à New York, James O’Neill remplace au pied levé l’acteur principal d’un Monte Cristo qui ne rencontrait alors qu’un succès modéré ; le public l’adore ; il passera sa vie – plus de 6000 représentations en 40 ans – dans la peau d’Edmond Dantès. Il mourut millionnaire et célébrissime, mais, selon les mots de son propre fils, le célèbre dramaturge Eugene O’Neill, “brisé, malheureux et terriblement amer”.

Pendant ce temps-là, Edmond Dantès commençait sa carrière cinématographique en France. Après une toute première version datant de 1908, dans laquelle il était joué par Charles Krauss – interprète, au début des années 1910, du policier à la poursuite de Zigomar, grand criminel contemporain de Fantômas, dont la postérité est assurée par Denis Podalydès et son bateau, dans Liberté Oléron (2001) –, en 1913 le cinéma français lui offre un nouveau film, mis en scène par Michel Carré, le scénariste de L’Assommoir d’Albert Capellani. Entre 1915 et 1917, Henri Pouctal réalise une version de trois heures, qu’il souhaite aussi fidèle que possible au livre et qu’il tourne, dans la mesure du possible, dans les lieux décrits par Dumas. Ce projet d’une ambition folle donne naissance à l’un des premiers grands film-fleuves français, que Henri Langlois considérait comme l’un des films qu’enfant il avait préférés.

Jusqu’en 1968, les adaptations cinématographiques se multiplient. Les deux versions de Robert Vernay, qui datent de 1943 et 1954, méritent d’être mentionnées : la première parce qu’elle est considérée par beaucoup comme la meilleure adaptation existante (au coude à coude avec le film impressioniste de Henri Fescourt, de 1929) ; la deuxième, dans laquelle Edmond Dantès est incarné par Jean Marais, parce qu’elle offre au roman d’Alexandre Dumas son plus grand succès populaire sur le grand écran (près de 8 millions d’entrées).

Puis, petit à petit, la télévision faisant son apparition dans les foyers français, vient l’heure des feuilletons ; leur format est particulièrement propice aux récits au long cours. À partir de 1968, en France, toutes les adaptations du Comte de Monte Cristo sont produites pour la télé. Mais l’imaginaire de la vengeance est marqué à jamais et, au cours des décennies suivantes, des histoires inspirées des aventures d’Edmond Dantès continuent d’attirer les foules dans les salles obscures du monde entier. V pour Vendetta et Oldboy sont de loin les plus connues, mais pour les plus curieux on pourrait citer Daerat Al-Enteqam (film égyptien de 1974) ou Legacy of Rage (film d’action hongkongais de 1986). En France, il aura fallu attendre jusqu’au 28 juin 2024 pour revoir Edmond Dantès sur le grand écran. Au vu des foules qui ont rempli les salles ces dernières semaines (le film comptait plus de 2 millions de spectateurs 10 jours après sa sortie), on peut parier que le film de Delaporte et De La Patellière a réveillé l’appétit du public pour cette histoire inépuisable.
© Le Rétro Projecteur 2021–2024
Graphisme par claire malot.
Développement par jroitgrund.
« Pour le grand écran, pas la p'tite lucarne ! »